Lieu : Le Pradet (83)

Calendrier : Livré en 2020

Maîtrise d’ouvrage : Communauté de Communes Toulon Provence Méditerranée

Budget : 1,65 M€ HT

Surface : 780 m²

Equipe maîtrise d’oeuvre : Studio 1984 et

Boris Bouchet Architectes (ass)
SO.L.A.I.R (fluides)
PG eco (économie)
CALDER ingénierie (structure)
GAMBA (acoustique)
ATEVE ingénierie (vrd)
EGSA (géotechnique)

Crédit Photos : Benoît ALAZARD

RécompensesNommé à l’Équerre d’Argent 2020, Nommé au prix Mies Van der Rohe 2021

©Félix illustra
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Le Conservatoire de musique et de danse de Toulon Provence Méditerranée est un établissement public d’enseignement et de création artistique, réparti sur 11 sites dans l’ensemble du territoire métropolitain. Le projet concerne la construction d’une de ces antennes au Pradet, commune de 10 000 habitants dont la situation privilégiée entre Toulon et le bord de Mer lui confère une attractivité forte sur le plan touristique. La ville a connu un important développement depuis la deuxième moitié du XXe siècle, accueillant en particulier une population de jeunes retraités issus de tout le territoire national, venant s’offrir une retraite paisible au bord de la mer dans les nombreux aménagements pavillonnaires dont les plus clôturés et contrôlés ont été imaginés sur le modèle des gated communities américaines.

Si l’ambition de la métropole de répartir l’offre culturelle sur les communes périphériques semble a priori vertueuse et consensuelle pour les lieux d’accueil des équipements concernés, la réalité est plus complexe. Les territoires urbains littoraux ayant été particulièrement exploités, il n’est pas évident pour les collectivités de trouver des terrains libres à l’écart des habitations. Le site proposé par la mairie du Pradet est la parcelle de l’ancienne école Jean Jaurès, enclavée dans le tissu résidentiel du centre-ville historique. Le conservatoire de musique s’inscrit au cœur d’un projet public plus vaste regroupant l’aménagement d’un petit parc, la rénovation de l’ancienne école en médiathèque municipale et la réouverture d’une venelle piétonne en direction du centre-ville. Ce choix politique propose une alternative au mode de vie tout automobile qui aurait plutôt dicté une situation en entrée de ville, généreusement dotée en stationnement. Le projet s’affirme comme un catalyseur de l’urbanité du centre-ville, dynamisant l’espace public piéton dans son ensemble en mettant en relation ces nouveaux équipements publics avec la place centrale Paul Flamencq. Toutefois, si la musique jouée par ceux qui la connaissent pour ceux qui l’apprécient adoucit les mœurs, les laborieux apprentissages d’un conservatoire peuvent être perçus comme une nuisance quand ils s’étalent du matin au soir dans le voisinage des piscines individuelles. Cette difficulté à installer un équipement de cette ampleur dans le tissu résidentiel de centre-ville d’un village côtier constitue un enjeu fort du projet. En quoi l’architecture est-elle capable de porter la greffe culturelle et sociale entre les utilisateurs venant de l’ensemble du territoire métropolitain et les habitants perturbés par la transformation de leur environnement ?

Face à l’ancienne école réhabilitée, une étroite lanière en fond de parcelle doit accueillir le conservatoire. L’ambiance singulière de la cour intérieure est marquée par la présence de très beaux arbres, deux pins et six platanes. Contrairement à ce que préfigurait le programme du concours, le premier choix du projet est la superposition du programme sur 3 niveaux. La place libérée permet de conserver les grands arbres et installe un vide central, pensé comme un troisième équipement entre la médiathèque et le conservatoire, respiration salutaire au cœur du tissu dense et privé du quartier. Dans son rapport au site, le conservatoire apporte une première réponse à cette injonction contradictoire, entre l’ambition d’un équipement marquant, symbole d’un renouveau public et la nécessaire discrétion dans le tissu résidentiel historique. Le projet s’appuie sur une double lecture. Depuis les coteaux ou le centre-ville, il est perçu comme une architecture présente depuis des siècles. Son volume découpé, percé de manière parcimonieuse, le lie à l’échelle domestique des grosses maisons avoisinantes, construites avec les mêmes matières, façades minérales claires et toitures en tuiles. Mais dans l’espace tenu de la cour, la verticalité du conservatoire contraste avec le volume bas de l’ancienne école. La découverte de l’échelle hors norme des percements, du portique d’entrée en double hauteur, donne à lire l’image plus monumentale de l’équipement et affirme son caractère public.

Apaisant la confrontation avec les fonds voisins, les corps bâtis sur les limites Sud et Ouest sont abaissés, décalant vers l’intérieur le volume principal du conservatoire construit sur 3 niveaux, lui permettant de s’ouvrir sur ses quatre façades. Ces volumes d’échelle intermédiaire dégagent un petit patio méditerranéen destiné au personnel. Les gradins, ouverts sur la cour qui en devient la scène, ménagent un parcours vers une terrasse, belvédère d’où l’on peut admirer le panorama. Ce jeu de formes singulier et la direction donnée par les toitures en pente diagonale assurent une élévation progressive du bâti tel un escalier en colimaçon, tournant depuis les premières marches des gradins à l’entrée du site jusqu’au volume central. Le projet apparaît finalement comme une émergence minérale, prolongement de l’espace public, simple érection du sol de la cour.

 Le conservatoire est construit en pierres d’Estaillade, exploitées dans les carrières d’Oppède à quelques dizaines de kilomètres du Pradet. C’est d’abord le choix de la discrétion, celui de continuer à construire en pierres dans un quartier historique où immeubles, villas ou encore l’ancienne école ont été construits en calcaire. Le conservatoire fait face à l’Église Saint-Raymond Nonnat, construite elle-même au XIXe siècle en pierres provenant des carrières d’Oppède. C’est la proximité et la vitalité des filières d’exploitation de la pierre massive dans les carrières de Provence qui rendent la matière pertinente sur le plan économique encore aujourd’hui. L’utilisation de la pierre massive dans la construction est une performance environnementale. Peu transformée, peu transportée elle confère au bâtiment un bon bilan carbone et une grande pérennité. Un mur en pierres remplit une part importante des besoins contemporains d’une paroi, structure, isolement acoustique, revêtement extérieur et intérieur, là ou la paroi courante aurait nécessité 7 ou 8 couches de matériaux différents, accompagnés de l’énergie nécessaire à leur transformation, leur transport et leur mise en œuvre. Cette hyperspécialisation des matériaux de construction raconte aussi leur fragilité, alors que l’épaisseur de la pierre va lui permettre de s’user sans s’abimer, les matériaux de synthèse, toujours plus fins devront être remplacés dans quelques années.

Ensuite, construire en pierres massives est une évidence de confort dans un climat méditerranéen pour ses capacités à stocker la fraicheur. En s’appuyant sur le référentiel Bâtiment Durable Méditerranéen, le projet a poussé très loin le calcul thermique dans le but de conserver certaines façades en pierres massives sans doublage intérieur. Associées aux refends en pierres et aux planchers béton, l’édifice offre une inertie thermique considérable, assurant un déphasage entre le jour et la nuit important et donc un confort d’été optimal de manière passive. Les masses végétales existantes et un système de brises soleil orientables commandés en temps réel par une station météo complètent le fonctionnement bioclimatique de l’équipement.

Enfin, il s’agit là d’une réponse symbolique et technique aux besoins d’isolement acoustique des activités inhérentes au conservatoire à destination de ses voisins. Il est bien sûr possible de constituer des protections acoustiques à partir de matériaux de synthèse ou de béton mais il y a quelque chose d’essentiel à envelopper la musique dans 35 cm de pierres massives. La forme générale du plan en papillon, composée de murs non orthogonaux détermine également la qualité acoustique des salles de musique. Sur cette base géométrique, chaque salle est un trapèze qui, associé aux revêtements intérieurs en bois, contrôle les effets de réverbération. C’est aussi une référence symbolique à la stéréotomie, discipline géométrique d’assemblage et de découpe des pierres. Dans la grande salle d’orchestre, lieu de représentation du conservatoire, la conception structurelle et thermique du projet permet de mettre en scène quatre murs intérieurs en pierres massives. Là aussi, aucune de ces parois n’est parallèle. La forme spécifique du mur de fond de salle, dessiné comme une ligne brisée, résulte également d’une recherche précise de qualité acoustique et fabrique un motif esthétique spectaculaire.

L’utilisation de la pierre massive apparait donc comme une évidence. Pourtant, nous avons vu un danger dans cette certitude facile. Il nous a semblé que construire une école de musique en pierres dans le quartier résidentiel historique d’un bourg Provençal pouvait être un truisme coupable. Il s’agit de mesurer à quel moment les évidences, les continuités sémantiques deviennent des caricatures parce qu’elles ne rendent pas compte de la complexité de la société qui les fait naitre. Défendre les qualités culturelles du site, l’utilisation des matières locales, naturelles ne veut pas dire s’enfermer dans un exercice de style. Il est question de montrer que le milieu, notion qui englobe les réalités sociales et économiques d’un territoire élargi, est une extension du génie du lieu.

Pour ces raisons, nous avons souhaité introduire une part de complexité dans l’expression architecturale du bâtiment. Nous avons cherché à nous éloigner de l’image de l’architecture primitive, de l’archétype de la ruine antique de l’église voisine ou du chaix contemporain où seules les pierres ont droit de cité en façades. D’abord, sur le plan structurel, dans une région soumise aux forts aléas sismiques, le bâtiment utilise une technique mixte de blocs de pierre massifs superposés et d’ouvrages en béton armé, dalles et chainages d’angle mis en œuvre par carottages dans la masse de la pierre. Par ailleurs, le projet propose de larges percements soigneusement composés, associés à chaque salle de cours. Les linteaux nécessaires à leur mise en œuvre, ne peuvent être assurés par une seule pierre massive. Ces contraintes techniques et normatives sont alors prétextes à l’introduction d’un nouveau langage, d’une composition autonome, d’un ordre composite entre pierre et béton. Appuyé sur la tension entre l’imaginaire vernaculaire de la pierre de taille et la mise en œuvre d’un béton haute performance SRPM, habituellement destiné aux infrastructures, l’édifice tente de raconter la complexité du monde dans lequel il se construit. À l’échelle du quartier, le coulage soigné de ces cadres en béton gris clair les confond avec la pierre beige.

À l’échelle domestique, le regard s’inverse et la perception du béton brut, matière moderne et populaire, fait basculer l’architecture dans un registre plus universel. Il est intéressant de noter qu’on a construit des bâtiments en pierres massives dans la région depuis des siècles, qu’ils ont résisté à bon nombre d’aléas sans respecter la norme sismique contemporaine. L’ensemble des normes en vigueur dans le bâtiment dit beaucoup du rapport que nos sociétés contemporaines entretiennent avec la notion de risques. Rendre le béton visible en façade est une manière de parler de cela, de montrer que les architectures sont des objets médians, issus d’une négociation et non seulement des vestiges revisités d’un passé fantasmé.

Le public est accueilli dans un hall généreux, largement éclairé naturellement, dimensionné pour être un véritable lieu de vie. Il dessert l’espace d’administration et la salle des professeurs, orientés vers le calme du patio, ainsi que la salle d’orchestre. Son accès directement depuis l’extérieur et ses dimensions en font une salle de spectacle très fonctionnelle. À l’entresol, un espace d’attente offre au regard la salle d’orchestre en contrebas et permet l’accessibilité PMR des gradins. Dans les étages, les circulations sont généreusement dimensionnées et judicieusement disposées de manière à pouvoir déplacer sans difficulté des instruments très volumineux. Éclairés naturellement, ce sont des lieux agréables où attendre le début d’un cours, se rencontrer, se reposer. Les salles de cours offrent des vues inédites sur les paysages du centre-ville, de l’église ou plus lointains en direction du relief des garrigues.

Dans une démarche d’échange avec les utilisateurs, le dessin sur mesure d’ensembles menuisés en bois, parois, plafonds, rangements et signalétique a permis de dissimuler l’ensemble des équipements, réseaux, émergences techniques nécessaires aux conforts acoustique et thermique dans les salles de cours dans le but de mettre en valeur le paysage et de laisser la place aux activités d’apprentissage. La qualité de la réalisation de ces aménagements fait la démonstration de la compatibilité entre un travail artisanal témoignant de savoir-faire manuels traditionnels et la technicité exigeante d’un équipement aussi spécifique.